Introduction
L’analyse d’image à Sciences Po, c’est une épreuve où vous devrez montrer que vous savez observer, réfléchir et argumenter autour d’une image. Pas de panique : des analyses, vous en avez déjà faites, peut-être sans vous en rendre compte ! Que ce soit en cours d’arts plastiques, en histoire ou même en scrollant sur Instagram, vous avez déjà développé des réflexes d’observation et d’interprétation. Ici, l’objectif est de structurer ces réflexes avec méthode.
Module 1: Objectif principal
Votre mission ? Convaincre le jury que vous êtes capable d’analyser une image avec rigueur, tout en mobilisant vos connaissances culturelles, historiques et votre suivi régulier de l’actualité. Vos intérêts plus personnels et votre sensibilité peuvent aussi vous aider à nourrir votre argumentation et votre regard critique sur l’image, il faut accepter de faire preuve de cette réflexivité. Pas besoin d’être un expert d’histoire de l’art, mais il faut montrer que vous avez du bon sens, de la curiosité et une vraie capacité d’analyse critique.
Module 2: Le déroulé de l’épreuve
Pour bien vous préparer, il est essentiel de comprendre comment se passe l’épreuve :
Le choix
Les examinateurs vous présenteront deux images sur un écran. À vous d’analyser rapidement les images et d’en noter mentalement (rapidement) les éléments clés, pour choisir celle qui vous permettra de briller (c’est à dire celle qui vous parle le plus, dont la composition vous parait la plus claire et surtout celle qui est la plus évocatrice du point de vue de vos connaissances et de votre sensibilité).
L’observation initiale
Une fois choisie, analysez bien l’image. Prenez ce temps pour noter mentalement (ou rapidement) les éléments clés. Parfois, le jury de Sciences Po vous donnera un temps de préparation, parfois pas. Si vous avez le loisir de vous préparer, vous devez structurer votre réflexion sur papier, mais attention : vous n’avez que quelques minutes ! Limitez-vous à des bullet points. Il faudra très rapidement dégager deux ou trois axes d’interprétation à partir des éléments de description plus généraux que vous aurez identifié.
L’oral
Vous aurez ensuite entre 5 et 10 minutes pour décrire, commenter et analyser l’image. Votre présentation pourra être guidée par les questions du jury : elles ont pour objectif de vous guider dans la réflexion. D’une part, ces questions peuvent vous permettre de clarifier votre propos ou d’aller plus loin dans les éléments interprétatifs que vous avancez. D’autre part, elles peuvent également vous permettre de vous décentrer de votre parti pris initial pour tenter de réfléchir à partir d’un autre regard sur l’interprétation que vous faites du document iconographique.
L’épreuve repose autant sur vos capacités d’observation que sur votre aptitude à structurer une analyse argumentée.
Module 3: Méthodologie en 4 étapes : Choisir, Décrire, Contextualiser, Interpréter
Choisir le point de départ : une accroche percutante pour justifier son choix
Avant tout, mettez-vous dans la peau d’un détective : observez bien l’image dans son ensemble. L’idée, c’est de commencer par une phrase qui donne envie d’en savoir plus. Cette phrase peut poser une question, annoncer un thème, ou faire un lien avec un contexte historique.
Exemple : « Cette photographie prise en 1989, lors de la chute du mur de Berlin, illustre à la fois l’euphorie populaire et la fin d’une ère géopolitique. »
Votre accroche doit être courte, mais elle plante le décor. Ensuite, on passe au gros du travail.
Attention : cette accroche ne doit pas être ornementale, elle n’est pas là pour faire jolie. En effet, elle doit vous donner l’opportunité à la fois de montrer l’intérêt du document présenté par le jury mais également de prouver que cette image vous interpelle. C’est parce qu’elle suscite votre étonnement et votre intérêt que vous justifiez la pertinence de votre choix. Cette introduction par une accroche doit justifier ce choix. Si jamais il s’avère que vous ne trouvez pas d’accroche qui vous semble pertinente, pas de panique ! Le plus important est avant tout de montrer en introduction pourquoi vous avez sélectionné ce document en témoignant des enjeux qui vous intéressent sincèrement : c’est aussi par la pertinence de vos choix que vous pouvez vous démarquer des autres candidat.e.s dans cette épreuve.
Décrire : L’œil de l’observateur
Décrivez ce que vous voyez. Facile, non ? Attention : une bonne description n’est jamais une simple liste d’éléments. L’idée, c’est d’organiser vos observations et de les relier entre elles. Voici ce qu’il faut examiner systématiquement :
- La nature de l’image : Est-ce une affiche, une peinture, une photo journalistique, une gravure ? Chaque type d’image a ses propres codes.
- Les éléments visuels : Qui ou quoi est représenté ? Comment les sujets sont-ils disposés ? Regardez les personnages, les objets, les couleurs, les lumières.
- Les données textuelles : Quelles sont informations écrites dans le document. Où le sont-elles : à l’intérieur de l’image, en légende ? Comment sont-elles écrites (typographie) ? Qui les a écrites ?
- La composition : Y a-t-il une symétrie ou un déséquilibre ? Où est dirigé le regard ?
- Le style : Est-ce réaliste, abstrait, caricatural ?
Astuce : Soyez précis et factuel. Si vous voyez un personnage, décrivez son attitude, son expression, ses vêtements.
Exemple : « Au premier plan, un homme en uniforme tend la main vers une foule en liesse, tandis qu’à l’arrière-plan, les ruines d’un mur symbolisent la destruction d’une frontière. La lumière naturelle renforce l’idée d’espoir. »
Cette étape est essentielle mais elle ne doit pas vous conduire à vous focaliser sur la description d’une série de détails à l’oral. Cela risquerait de vous perdre et le jury avec. Une description fine et générale est essentielle. Gardez une partie des détails observés pour nourrir les parties suivantes à savoir le contexte puis le développement centré sur l’interprétation.
Contextualiser : La mise en perspective
Une image ne sort jamais de nulle part. Pourquoi a-t-elle été créée ? Par qui ? Dans quel contexte ? C’est ici que votre culture générale entre en jeu.
- Le contexte historique : Quels événements entourent l’image ? S’agit-il d’une période de guerre, de révolution, de changement social ?
- Le contexte social et politique : Quels messages l’image véhicule-t-elle ? À qui s’adresse-t-elle ?
- Le contexte artistique : Y a-t-il un lien avec un courant artistique particulier (réalisme socialiste, art abstrait, pop art) ?
Exemple : « Cette peinture s’inscrit dans le mouvement impressionniste, marqué par une volonté de capter des instants de vie et des jeux de lumière, en opposition aux codes académiques de l’époque. »
Astuce : Si vous n’avez pas beaucoup d’informations sur le contexte, essayez au moins de repérer les indices dans l’image elle-même.
Interpréter : Aller au-delà du visible
C’est le moment de briller ! Après avoir décrit et contextualisé, vous devez expliquer pourquoi cette image est importante.
- Le message : Que cherche à faire passer l’auteur de l’image ? Informer, dénoncer, émouvoir, mobiliser ?
- L’impact : Quel effet cette image a-t-elle eu (ou pourrait-elle avoir) sur le public ?
- Les symboles : Y a-t-il des éléments qui portent un sens universel ? Par exemple, un drapeau, une colombe, des chaînes brisées.
Astuce : Faites des liens avec des thèmes plus larges (justice sociale, liberté, mémoire collective) pour enrichir votre analyse. Vous pouvez même avoir recours à la comparaison avec d’autres documents iconographiques pour mieux situer l’analyse de votre image.
L’interprétation est l’étape de la démonstration où vous mettez en jeu vos compétences argumentatives. Vous devez prendre de la hauteur, en vous appuyant sur les éléments de description et de contextualisation, pour monter en généralité. Dès lors, vous serez en mesure d’organiser cette étape en un développement de deux à trois points.
Exemple d’un point d’interprétation : « En associant une esthétique de propagande à un slogan minimaliste, cette affiche de 1968 fait écho aux mouvements de contestation étudiants tout en dénonçant les excès du capitalisme. »
Ouverture : Élargir la réflexion
Pour conclure en beauté, proposez une ouverture. Elle peut élargir la réflexion en liant l’image à des enjeux contemporains ou en évoquant une question plus vaste.
Exemple : « Cette image pose finalement une question intemporelle : comment les artistes, à travers leurs créations, peuvent-ils agir comme des témoins engagés des transformations sociales ? »
Module 4: Conseils pratiques
Préparez-vous en amont
- Entraînez-vous sur des images variées : Publicités, dessins de presse, caricatures, œuvres d’art, photos historiques et contemporaines. Plus vous pratiquez, plus vous serez à l’aise.
- Faites des fiches : Si vous avez le temps, notez les courants artistiques les plus importants, les périodes historiques associées, et des exemples d’images marquantes.
- Regardez des modèles : Observez comment les critiques d’art ou les journalistes parlent des images. Inspirez-vous !
Le jour J : Gérez votre temps
- Observation : quelques minutes pour scruter et choisir l’image et noter vos idées principales.
- Oral : Structurez votre réponse en suivant les étapes présentées plus haut.
- Attention au temps. Organisez votre propos pour éviter d’avoir tout dit au bout de 2m30, ou au contraire d’en être encore à la description à 9 minutes : rien de pire que de ne pas pouvoir dire tout ce que l’on a préparé de passionnant !
Évitez les pièges
- Ne restez pas en surface : décrire n’est pas analyser.
- Ne cherchez pas à tout dire : allez à l’essentiel.
- Ne soyez pas flou : chaque observation doit servir votre argumentation.
Module 5: Petits conseils en plus (on n’est pas radins)
Ça s’appelle d’analyse d’image, mais c’est plus vocabulaire d’analyse tout court. On vous passe tout le vocabulaire classique d’analyse d’image type “lignes de force / fuite”, “vue de pied” etc, on vous donne ce que vous allez pouvoir vraiment pourvoir utiliser 🙂
Vocabulaire de première impression
Cette image m’interpelle parce que XYZ
Cette image me saisit visuellement / par sa luminosité / son manque de X,
Cette image est choquante, parce que
Ce qui saute aux yeux quand on regarde cette photo, c’est que
Cette image paraît comme complexe, parce que
A première vue, on peut penser que… Et en fait,
Vocabulaire de spéculation
Cette image, qui a tout l’air d’avoir été prise au moment de…
Cette image, dont on peut supposer qu’elle …
Ce dessin, dont on peut imaginer qu’il fait référence à … (la polémique X, le paradoxe Z, la tarte aux myrtilles de votre grand-mère)
On peut raisonnablement penser que X est en train de Z, ce qui donne une sensation de Y.
Vocabulaire de mise en lien
Cette image fait clairement référence / allusion
Cette image rappelle
Je suis tenté de mettre en lien cette image avec les événements récents de / la tarte aux myrtilles de ma grand-mère
Cette image fait clairement allusion
Vocabulaire de “c’est ça qui est important”
Ce qui attire tout de suite le regard, c’est…
Ce qui ressort visuellement de cette image, c’est…
Le point important de ce dessin, c’est…
Vocabulaire de mise en lumière des enjeux
Cette image souligne
Cette image met en évidence … (le paradoxe de XYZ / la polémique de / un point saillant de l’actualité de ces derniers mois qu’est l’augmentation du cours de la myrtille….)
Cette image met en lumière l’importance de
Cette image pointe du doigt la difficulté / le paradoxe / l’erreur / la tarte aux myrtilles
Vocabulaire de “et puis” (ne dites pas “et puis”)
Un autre aspect que met en lumière, en exergue cette image
Si on regarde bien, il apparaît également que
Je dois ajouter que
Autre chose qui ressort de ce dessin
On peut interpréter cette image comme étant… (un appel à, une moquerie, une recette parfaite pour la tarte aux myrtilles)
Vocabulaire de conclusion
Ce qu’on pourrait dire, enfin, c’est que
Si je devais dire une dernière chose sur cette image, c’est que
Je conclurai mon propos en disant que cette image
Exemple 1 : Keep’em firing, General Motors Corporation, 1942

À retenir :
- Préparation essentielle : Avoir une méthode fixe et bien s’entraîner avec un grand nombre d’images avant l’épreuve.
- Méthode suivie : Contexte → Description → Mise en mouvement → Enjeux → Ouverture.
Description :
L’affiche présente un slogan en haut, « Together we can do it », traduisible par « Ensemble, nous pouvons le faire ». Il s’agit d’une affiche produite par General Motors Corporation (GMC) pendant la Seconde Guerre mondiale. On y voit plusieurs hommes représentés avec des poings levés, symbolisant l’effort collectif. Les couleurs utilisées (bleu, blanc) évoquent les vêtements de travail des ouvriers de l’époque.
Interprétation :
L’image date de 1942, un an après l’entrée en guerre des États-Unis suite à l’attaque de Pearl Harbor (1941). Elle montre comment une entreprise automobile se reconvertit en fabricant d’armements militaires, illustrant l’effort de guerre industriel. Les hommes représentés reflètent un idéal de force et de patriotisme.
Enjeux :
Cette image révèle la mobilisation totale de la population, à l’avant comme à l’arrière. Cependant, l’absence de figures féminines interroge : elle suggère une mobilisation uniquement masculine, bien que les femmes aient également joué un rôle crucial dans cet effort.
Ouverture :
On peut élargir la réflexion sur la manière dont les États-Unis mobilisent les symboles du patriotisme à travers leurs campagnes, du contexte de la Seconde Guerre mondiale jusqu’aux interventions récentes, comme en Afghanistan ou en Irak.
Exemple 2 : We Can Do It!, Westinghouse Electric, 1943

Description :
Cette célèbre affiche de propagande met en avant une femme forte, vêtue d’un uniforme de travail, montrant son poing serré sous le slogan « We Can Do It! ». L’image vise à mobiliser les ouvriers et ouvrières de l’usine Westinghouse Electric pour soutenir l’effort de guerre.
Interprétation :
L’affiche illustre une rupture avec les représentations traditionnelles : les femmes y sont montrées comme des actrices de la guerre, un message novateur pour l’époque. Cette campagne de communication incite la population entière, y compris les femmes, à participer à l’effort national, qu’il soit direct ou indirect.
Enjeux :
L’image interroge sur l’évolution de la place des femmes pendant la guerre et sur l’impact de cette mobilisation sur leurs droits après 1945. Elle ouvre aussi la réflexion sur l’utilisation de ce type d’images comme outils de soft power.
Ouverture :
On peut établir un parallèle avec des figures actuelles qui reprennent cette iconographie pour promouvoir des messages de solidarité ou de féminisme. Le slogan « We Can Do It! » a par ailleurs inspiré des discours politiques modernes comme le « Yes We Can » de Barack Obama.
Exemple 3 : « Silence = Mort », Act Up, 1987

Description :
Cette affiche minimaliste présente un fond noir, un triangle rose inversé, et le slogan « Silence = Mort » en lettres blanches. Utilisée par le mouvement Act Up, elle dénonce le silence face à la crise du SIDA dans les années 1980.
Interprétation :
Le triangle rose, symbole utilisé pour stigmatiser les homosexuels sous le régime nazi, est ici réapproprié en signe de lutte et de solidarité. Le choix du contraste entre noir et rose amplifie l’impact visuel et émotionnel.
Enjeux :
Cette image soulève la question de l’engagement militant à travers l’art et de la manière dont des symboles puissants peuvent être réutilisés pour des causes contemporaines. Elle incite aussi à réfléchir sur la relation entre la mémoire historique et les luttes actuelles.
Ouverture :
Elle pose la question plus large du rôle de l’image dans la sensibilisation et le militantisme, tout en faisant écho à d’autres mouvements qui ont utilisé des visuels marquants pour mobiliser l’opinion publique, comme Black Lives Matter ou Fridays for Future.
Conclusion
L’analyse d’image, c’est un mélange de méthode et de créativité. En suivant ces étapes – choisir une accroche, décrire, contextualiser, et interpréter – vous serez prêt.e à produire une réflexion riche et convaincante. Rappelez-vous : chaque image raconte une histoire, à vous de la décrypter avec intelligence et sensibilité
